Cette série de quatre articles constitue un compte-rendu du séminaire Santé Numérique organisé par l'ITN.
La transformation numérique des hôpitaux représente l'une des problématiques majeures du secteur de la santé. Lifen, une start-up fondée en 2015 par Franck Le Ouay, a relevé ce défi complexe en simplifiant l’accès, la structuration et le partage des données médicales. Depuis sa création en 2015, Lifen s'est imposée comme un acteur de premier plan dans le domaine de la e-santé en France, notamment en améliorant la communication entre les professionnels de santé et avec les patients.
Dans un secteur hospitalier où les obstacles à la numérisation sont nombreux, Franck Le Ouay partage sa vision de la transition numérique et les enseignements tirés de son parcours. Ses conseils s’adressent aux entrepreneurs du secteur, mais aussi aux décideurs publics et privés, en quête de stratégies adaptées à la transformation numérique des hôpitaux.
La transition numérique dans les hôpitaux présente des opportunités sans précédent pour améliorer l’efficience et la qualité des soins. Lifen s’attaque à un défi majeur pour le secteur : la structuration et le partage des données médicales. En permettant un meilleur accès aux informations cliniques, la plateforme de Lifen facilite la communication entre les professionnels de santé et avec les patients, améliorant ainsi leur prise en charge des patients. Cette innovation se place au cœur des enjeux numériques de santé, permettant d’optimiser les pratiques cliniques et d’assurer une gestion plus fluide des parcours de soins.
Si les start-ups peuvent avoir un rôle clé dans cette transformation, l’entrepreneuriat dans la santé n’est pas sans obstacles. Comme l’explique Franck Le Ouay, le secteur hospitalier souffre de plusieurs spécificités qui rendent difficile l’introduction de solutions numériques, notamment :
Ces défis, couplés à des coûts d’entrée élevés, rendent la tâche difficile pour les start-ups qui souhaitent investir ce secteur. Cependant, ces obstacles ne sont pas insurmontables et des stratégies spécifiques peuvent aider à surmonter ces défis.
En partageant son expérience, Franck Le Ouay donne plusieurs conseils pour les entrepreneurs souhaitant se lancer dans la santé numérique :
Dans un contexte de forte pression sur le système de santé, la transformation numérique des hôpitaux est devenue un impératif pour améliorer la qualité des soins et l’efficience des services hospitaliers. Dans ce contexte, Raphaël Baufret (Directeur des services numériques de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) met en place un vaste programme de numérisation, qui touche l’ensemble de ses 38 établissements.
_Loin d’être une simple modernisation technologique, cette transformation vise à repenser les processus hospitaliers, à intégrer des outils numériques au cœur de la gestion des parcours de soins, et à faire face aux enjeux de sécurité des données tout en répondant aux défis financiers et humains. À travers des projets ambitieux, tels que la gestion centralisée des données de santé, la télémédecine et l’intégration de l’intelligence artificielle, l’AP-HP s’impose comme un acteur clé de la révolution numérique dans le secteur hospitalier. _
L’AP-HP, l’un des plus grands groupes hospitaliers d’Europe, se distingue par son engagement à mettre en œuvre une transformation numérique ambitieuse à l’échelle de ses 38 hôpitaux. Ce programme vise à moderniser l’ensemble des processus internes et des services de santé, tout en garantissant une prise en charge plus rapide et plus personnalisée des patients.
Le projet numérique de l’AP-HP repose sur plusieurs axes stratégiques, parmi lesquels la gestion des données de santé, l’amélioration des outils de collaboration entre les équipes soignantes, et l’intégration de nouvelles technologies pour optimiser les parcours de soin. En intégrant des solutions numériques avancées telles que l’intelligence artificielle (IA), la télémédecine et la gestion intelligente des flux hospitaliers, l’AP-HP se positionne comme un acteur phare dans la révolution numérique du secteur de la santé.
Un des défis majeurs du programme numérique de l’AP-HP réside dans la gestion et l’intégration des données de santé. L’AP-HP a mis en place un système de gestion en temps réel des données des patients, permettant une meilleure coordination entre les 38 établissements du groupe. Grâce à une plateforme numérique centralisée, les professionnels de santé ont un accès instantané aux dossiers médicaux, facilitant ainsi la prise de décision clinique et réduisant les risques d’erreurs médicales. Cette gestion centralisée est couplée avec des technologies avancées d’intelligence artificielle (IA) pour analyser et traiter de grandes quantités de données. L’IA permet d’optimiser les diagnostics et de personnaliser les parcours de soins, en tenant compte des spécificités médicales et génétiques de chaque patient, contribuant ainsi à une médecine plus ciblée et plus efficace.
Dans le cadre de cette transformation numérique, la télémédecine est également un axe stratégique. Ce projet répond à la nécessité d’améliorer l’accès aux soins tout en désengorgeant les services hospitaliers. L’AP-HP a déployé des solutions de suivi à distance pour les patients chroniques ou en post-opératoire, réduisant ainsi le besoin de déplacements physiques et d’hospitalisations prolongées. Grâce à la télémédecine, le suivi des patients en temps réel devient possible, notamment grâce à des outils de monitoring intégrés et à des consultations virtuelles, ce qui améliore la réactivité et l’efficacité du système de santé.
L’introduction de l’intelligence artificielle joue également un rôle central dans la transformation numérique de l’AP-HP, en particulier pour l’aide à la décision. Des algorithmes d’IA analysent les données massives provenant des dossiers médicaux, des tests et des imageries afin d’assister les médecins dans leur prise de décision. Par exemple, des solutions basées sur l’apprentissage automatique permettent de détecter des signes précoces de maladies graves, telles que le cancer, facilitant ainsi un traitement plus précoce et ciblé.
Enfin, l’AP-HP s’attache à améliorer l’efficience de ses processus internes à travers le numérique. Cela inclut des outils permettant de mieux gérer les stocks de médicaments, la planification des interventions chirurgicales et la gestion des lits. Ces innovations contribuent à une réduction des coûts, à une gestion plus fluide des ressources et à une prise en charge plus rapide et efficace des patients, garantissant ainsi une meilleure qualité des soins tout en optimisant l’organisation interne de l’hôpital.
Si l’AP-HP a d’ores et déjà réalisé de nombreux progrès dans la mise en place de ses projets numériques, la transition numérique rencontre également plusieurs défis majeurs qui nécessitent une gestion attentive et une vision à long terme. Dans un environnement hospitalier où les pratiques sont souvent profondément ancrées, l’adoption de nouvelles technologies peut se heurter à des résistances internes. Les équipes soignantes, bien que désireuses de faire progresser les soins, peuvent se montrer réticentes face à des changements qui modifient leurs habitudes de travail quotidiennes. L’intégration réussie des solutions numériques passe donc par une formation continue des professionnels de santé et une communication claire sur les bénéfices attendus des nouvelles technologies. Cette approche est essentielle pour garantir une transition harmonieuse et renforcer l’adhésion des acteurs clés du système hospitalier.
Dans le secteur de la santé, où les données médicales sont particulièrement sensibles, la sécurité des informations représente un enjeu crucial. L’AP-HP se doit de respecter des normes strictes concernant la protection des données personnelles des patients et la sécurité informatique. Cela implique des investissements constants dans des infrastructures technologiques adaptées, ainsi que dans la mise en place de protocoles de sécurité rigoureux pour prévenir tout risque de violation de données. La conformité avec les réglementations européennes (notamment le RGPD) et nationales constitue une priorité, afin de garantir la confidentialité des informations et la confiance des patients.
L’un des obstacles majeurs à la numérisation à grande échelle dans les hôpitaux réside dans l’interopérabilité des systèmes d’information. Chaque établissement, y compris au sein de l’AP-HP, utilise des logiciels et des plateformes informatiques différents, souvent non compatibles entre eux. Cette diversité complique la mise en place de solutions interconnectées et globales. L’AP-HP s’efforce de surmonter cet obstacle en développant des solutions numériques capables de dialoguer de manière fluide et sécurisée entre elles, tout en veillant à garantir la confidentialité et la protection des données médicales. L’enjeu de l’interopérabilité demeure central pour permettre une gestion cohérente et efficace des soins au sein de l’ensemble du groupe hospitalier.
La transformation numérique dans les hôpitaux dépasse la simple innovation technique et nécessite une réorganisation profonde des structures et des pratiques. Frédéric Kletz, enseignant-chercheur au Centre de Gestion Scientifique (CGS), étudie la dynamique de transformation des entreprises, l’organisation des hôpitaux et du système de santé, ainsi que la modernisation du management public. Il est responsable de plusieurs formations liant gestion et monde de la santé au sein de l’École, mais également en partenariat avec d’autres établissements comme l’APHP, le Groupe Hospitalier Paris St-Joseph et l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP).
À travers des projets concrets et les nombreuses interactions entre les acteurs du domaine, Frédéric Kletz met en lumière les défis et opportunités liés à cette transition, soulignant son impact sur l’organisation des hôpitaux, la gestion des systèmes de santé et la modernisation des pratiques managériales.
Le secteur de la santé connaît une transformation majeure, grâce à l’adoption généralisée des outils numériques. De l’imagerie médicale à la gestion des parcours de soins en passant par la médecine prédictive, le numérique est omniprésent, offrant de nouvelles perspectives pour améliorer la qualité des soins. À travers ses recherches, le CGS a mis en évidence la manière dont ces technologies transforment les pratiques hospitalières, en facilitant le suivi à domicile (télésurveillance), la coordination entre la ville et l’hôpital, ainsi que l’usage des outils d’IA dans des domaines comme l’anatomopathologie, une spécialité médicale consistant à examiner les tissus ou les cellules, pour repérer et analyser des anomalies liées à une maladie.
Ces avancées, souvent regroupées sous le terme de « médecine 4P » (prédictive, préventive, personnalisée, participative), permettent non seulement de soigner de manière plus ciblée, mais également d’impliquer davantage les patients dans leur parcours de santé. À titre d’exemple, des projets comme Covidom, une application e-santé permettant aux patients porteurs ou suspectés porteurs du Covid-19 sans signe de gravité, de bénéficier d’un télésuivi à domicile, sont des illustrations de l’apport des solutions numériques, permettant d’inscrire dans la durée le suivi des patients à domicile, tout en désengorgeant les structures hospitalières.
Cependant, la mise en place de ces innovations n’est pas sans difficultés. Environ 60 à 80 % des projets numériques échouent lors de la phase de déploiement (source : fonds FHF Recherche et Innovations). Or, les travaux menés aux Mines montrent que les échecs peuvent souvent s’expliquer par une insuffisante prise en compte des contraintes organisationnelles des établissements de santé.
Le CGS est impliqué dans plusieurs projets de recherche et d’accompagnement, illustrant la diversité des enjeux organisationnels liés à l’introduction du numérique en santé :
Ces exemples montrent que l’implantation du numérique dans la santé va bien au-delà de la simple adoption de nouvelles technologies. Elle exige une réévaluation complète des modes de fonctionnement des organisations.
Si les promesses du numérique en santé sont grandes, elles s’accompagnent aussi de plusieurs limites :
Un point central est l’importance de l’organisation dans l’implémentation des technologies numériques en santé. Chaque nouveau dispositif numérique impose une redéfinition des rôles, des processus, et des circuits administratifs. Il est nécessaire de repenser les structures organisationnelles avant même l’adoption d’un outil numérique. Cette dimension est souvent oubliée, menant à des échecs lors de la phase de déploiement.
L’organisation hospitalière, tout comme l’écosystème ville-hôpital, doit être prête à absorber les nouvelles technologies. Cela implique :
L’adoption du numérique dans le secteur de la santé est un véritable processus de transformation organisationnelle et non un simple changement technologique. Le CGS, à travers ses recherches et ses projets d’accompagnement, montre que cette transformation doit être pensée et anticipée sur le long terme. Pour les décideurs, il est essentiel de promouvoir une démarche systématique d’accompagnement organisationnel lors de l’implémentation de nouvelles technologies. Le numérique peut être un levier puissant de changement, mais il ne produira ses effets que si les organisations sont prêtes à s’adapter en profondeur.